C'est dans une salle comble (140 personnes) que le Professeur Cyril TARQUINIO a présenté avec conviction la technique EMDR et démontré l'intérêt de ce traitement dans certaines pathologies...
Qu’est-ce que la
psychothérapie EMDR ?
C’est un peu par
hasard en 1987, que Francine Shapiro a découvert l’Eye Movement Desensitization and Reprocessing (ou EMDR). Alors qu’elle se promenait dans un parc, elle opérait des
mouvements avec ses yeux et observa que les pensées négatives qui étaient les
siennes, semblaient évoluer et se transformer. Ce n’était bien entendu pas les
souvenirs ou les pensées qui disparaissaient de la conscience, mais leur charge
négative qui commençait à s’atténuer jusqu’à disparaître totalement. L’EMDR
est donc un type d'intervention à visée psychothérapeutique qui s’appuie sur la
stimulation sensorielle généralement appliquée sous la forme de mouvements
bilatéraluxdes yeux. Depuis cette date les recherches ont évolué et cette
psychothérapie et devenue la plus recommandés (Haute Autorité de Santé,
Inserm,…) en France et dans le monde (American Psychiatric
Association) pour la prise en charge du psychotraumatisme
et des troubles réactionnels (anxiété, dépression,…) qui surviennent suite à la
confrontation à des événements négatifs ou marquants (violence, deuils,
conséquences psychologiques de la maladie chronique,…).
A qui
s’adresse-t-elle ?
L’expérience clinique et la
recherche montrent que l’EMDR s’avère d’une grande pertinence et d’une grande
utilité lorsqu’il s’agit de prendre en charge les victimes souffrant d’Etat de
Stress Post-traumatique liés à des évènements traumatiques comme ce fut le cas
en janvier dernier des attentats qui ont secoué notre pays. Ces évènements
laissent des traces psychologiques comparables aux traumatismes de guerre.
L’EMDR est dans ce domaine une réponse de choix efficace. Avec mon équipe nous
avons travaillé avec de grands groupes comme Cora ou Arcelor sur le plan
national ou européen afin de prendre en charge avec la thérapie EMDR les
victimes d’accidents du travail, ainsi que les victimes de braquages ou de
prises d’otages. Depuis, plus de 10 ans maintenant nous avons développé à
l’Université de Lorraine des protocoles de prise en charge des conséquences
psychologiques de la maladie chronique comme le cancer par exemple. Il est
ainsi possible de proposer des protocoles et des prises en charge adaptés aux
effets de l’annonce, à l’anticipation d’une mastectomie, à la réduction de la
douleur du sein fantôme ou encore à la peur de la mort qu’imposent souvent une
telle pathologie.
Quels sont ses
avantages ?
L’EMDR permet un
traitement ciblé des phénomènes psychologiques. On peut en effet décider avec
le psychothérapeute de traiter certains points et pas d’autres. Quand la
psychothérapie est adaptée on note également qu’elle peut aller parfois un peu
plus vite. A vrai dire, l’EMDR actionne plus directement que d’autres
psychothérapies certains principes actifs qui contribuent au processus de
guérison, notamment par son action spécifique au niveau des structures
cérébrales impliquées dans certains troubles psychiques. Notons que l’EMDR
présente l’immense avantage de s’adresser à tout le monde, il ne faut pas
disposer de compétences ou de qualités particulières (être suggestible pour
l’hypnose ou savoir élaborer pour la psychanalyse) comme cela peut être le cas
parfois. Avec l’EMDR on stimule lecerveau indépendamment de la volonté du
patient, même si les processus en jeu se distinguent nettement de l’hypnose.
Les mécanismes de raisonnement se mettent en route et le patient en est à la
fois l’acteur et l’observateur. Enfin, c’est une approche qui peut s’articuler
avec d’autres approches, qu’il s’agisse de la psychothérapie comportementale,
de l’hypnose, de la psychanalyse, de la systémie. Il existe également des
spécialistes qui ont adapté la démarche aux enfants, aux adolescents et aux
familles.
Quelles sont ses
limites ?
Le risque c’est
de penser du fait d’un manque d’explication que cette psychothérapie est bonne
pour tout. C’est loin d’être le cas. Il existe des indications de l’EMDR,
notamment pour les troubles réactionnels, ainsi que pour la prise en charge de
certains types de traumatismes que l’on qualifie de plus complexe. Cependant,
on ne peut pas sérieusement tout soigner avec l’EMDR. Certaines dépressions
sont réfractaires, pour des raisons qu’il serait trop difficile d’expliquer. Il
ne suffit pas d’avoir un bel outil encore faut-il savoir s’en servir. L’EMDR
est une magnifique voiture de sport, mais tous les psychologues ne sont pas des
pilotes de formule 1. Ainsi, il faut que les professionnels disposent d’une
formation clinique et psychopathologique solide pour utiliser à bon escient
cette approche, que la recherche commence à peine à expliquer. A Metz, mon
équipe consacre beaucoup de temps et d’énergie à tenter de comprendre ce qui se
joue sur le plan cérébral et cognitif pendant la psychothérapie EMDR. L’enjeu
est de taille et nous éclairera sans aucun doute sur ce qui se passe dans toutes
les psychothérapies.
Tous les
patients sont-ils réceptifs ?
Oui, globalement
tous les patients sont réceptifs et nous disposons d’un arsenal assez large
pour faire en sorte que tout le monde puisse profiter des effets de la
psychothérapie EMDR. Je dirai, qu’il y a plutôt des précautions à prendre avec
certains patients et que cette psychothérapie (comme les autres d’ailleurs) ne
se met pas en œuvre avec n’importe qui. Il faut être particulièrement attentif
au trouble de la dissociation qui est une sorte
d’état second dans lequel certains patients peuvent se trouver,
notamment les victimes de violence ou d’abus répétés lors de l’enfance. Ces
états psychiques sont des contre-indications à une application simpliste de
l’EMDR. C’est pourquoi, il convient de s’assurer que le praticien dispose d’une
solide expérience et qu’il ne débute pas avant de lui confier ce type de
patient (cf le site emdr-france.org). Par comparaison, si la prise en charge
d’un trauma simple (une confrontation à un épisode traumatique, généralement à
l’âge adulte) ou ESPT avec la psychothérapie EMDR peut prendre entre 3 à 5
séances (parfois moins). En revanche, la prise en charge de traumatismes plus
complexes peut durer jusqu’à 3 ou 4 années et nécessitera d’ailleurs du
psychothérapeute qu’il maitrise d’autres approches en plus de l’EMDR.
Dans quels
domaines a-t-elle surtout fait ses preuves ?
La
psychothérapie EMDR a été développée principalement comme une thérapie du
syndrome de stress post-traumatique. Les études publiées (études de cas et
essais cliniques) concernent donc principalement des patients souffrant de
certaines formes d'anxiété à la suite d'un événement traumatisant. Deux
populations sont particulièrement étudiées par les chercheurs : les femmes
victimes de viol et les vétérans de guerre. Nous avons d’ailleurs mené à Metz
dans ce contexte de nombreuses études et publiés de nombreux articles
scientifiques. Les premières thèses Françaises sur la psychothérapie EMDR ont
été soutenues sous ma direction à l’Université de Lorraine et concernent la prise en charge des victimes
de violence ou de viols, les victimes de braquage et de prise d’otage. Nous
avons également mené des recherches sur la prise en charge de la douleur
chronique qui sont très prometteuses et qui apportent une véritable
amélioration de la situation des malades. Enfin, le domaine de la maladie
chronique reste pour moi une priorité maintenant qu’il s’agisse des
conséquences psychologiques des cardiopathies (infactus,…), de l’annonce et de
l’acceptation de la maladie ou des étapes du cancer…
L’EMDR est-elle
encore perfectible ?
Oui, je crois que nous sommes au début de notre compréhension de
ce que nous apporte aujourd’hui la psychothérapie EMDR. Pendant longtemps la médecine a utilisé la
pénicilline grâce à la découverte de Fleming, sans vraiment savoir pourquoi
cela fonctionnait. La pénicilline a néanmoins sauvé la vie de milliers de gens.
C’est un peu pareil pour l’EMDR. On sait que çà fonctionne et le clinicien que
je suis est heureux de soigner et de guérir plus de patient aujourd’hui
qu’hier. Mais le chercheur lui est totalement insatisfait car il ne comprend
pas pourquoi cela marche et quels sont processus qui sont vraiment activés
durant le travail psychothérapeutique. Nous avançons et nous collaborons avec
les Pays-Bas, l’Angleterre, l’Allemagne et l’Italie qui sont très avancés dans
le domaine. Nous avons des hypothèses de plus en plus précises, mais qui vont
nous occuper durant les 20 prochaines années au moins. Les étudiants viennent
de toute l’Europe pour travailler avec nous et nous serons bientôt dotés d’un
centre de recherche (Centre Pierre Janet) moderne, pour mener ce type de
travaux et voir en temps réel comment se comportent le corps et le cerveau
durant le processus psychothérapeutique. C’est à David Servan Schreiber que je
dois le fait que l’EMDR ait pris ses quartiers à Metz. Nous nous sommes
rencontrés quelques temps avant son décès. Il souhaitait
que l’enseignement de l’EMDR soit universitaire et que la recherche se développe
en France. Je lui ai fait confiance. Nous sommes aujourd’hui un laboratoire de
référence dans le domaine et je suis heureux d’avoir initié ce champ de
recherche à Metz.
Professeur Cyril Tarquinio
Directeur Laboratoire ESPAM de Psychologie de la santé
Université de Lorraine site de Metz
Prochainement sur ce site l'enregistrement de la conférence
par l'équipe de Loreina TV